La Cour suprême donne raison à Droits collectifs Québec, mais restreint l’accès à la justice!

Sherbrooke, le lundi 11 novembre 2024 - Le 1er novembre dernier, l’organisme Droits collectifs Québec (DCQ) marquait l’histoire du Québec et du Canada en initiant des procédures judiciaires en Cour fédérale mettant en cause le Bureau de la Registraire de la Cour suprême du Canada (CSC) pour une violation des droits linguistiques garantis par la Loi sur les langues officielles (LLO) constatée dans un rapport final d’enquête du Commissaire aux langues officielles (CLO).

La réaction ne s’est pas fait attendre : à peine une semaine plus tard, la CSC, par voie de communiqué, donnait raison à DCQ et au bien-fondé de ses prétentions – mais de la pire manière possible. Plutôt que de se décider à bel et bien traduire officiellement ses décisions en français pour se conformer à la LLO, aux recommandations du CLO et aux demandes de DCQ (qui posent que leur seul affichage en version officielle anglaise est attentatoire aux droits linguistiques des francophones), la Cour suprême nous sert plutôt un « après moi, le déluge » et a choisi de carrément supprimer la totalité des décisions antérieures à 1970 de son site web. L’absence de version française vous pose problème? Alors « réglons » le problème, nous sert le plus haut tribunal du pays : il n’y aura plus aucune version du tout, ni anglaise, ni française! Plutôt retirer ces décisions de l’accès au public que de devoir les traduire en français; plutôt sacrifier l’accès à la connaissance juridique que de se vexer à respecter l’esprit de la loi et du bilinguisme officiel. Suite à cette sidérante prise de position, la CSC déclare du même coup s’engager vaguement à traduire certains jugements – mais pas question qu’il s’agisse de version officielles citables ou formellement utilisables. Ainsi, non seulement ce geste unilatéral ne règle pas toutes les questions litigieuses soulevées par DCQ, que la CSC a choisi de faire face à la situation avec la pire des solutions possibles, soit en sacrifiant l’accès à la justice et à l’information jurisprudentielle pour l’ensemble des Canadiens et Canadiennes.

Lorsque la Cour suprême contredit… la Cour suprême

Ainsi, le Bureau de la Registraire de la Cour suprême du Canada, une entité administrative fédérale exclusivement au service du plus haut tribunal du pays, s’est finalement rendu aux arguments de DCQ : la situation actuelle était bel et bien une infraction à la LLO, une inacceptable situation dans un État de droit. C’est pourquoi il a annoncé sa décision de retirer immédiatement de son site web l’ensemble des jugements non traduits, pour la très grande majorité rédigés en anglais. De même, il s’est engagé à procéder à « (...) la traduction des décisions antérieures à 1970 qui sont les plus importantes d’un point de vue historique ou jurisprudentiel. Elles seront alors accessibles en français et en anglais sur le site web de la Cour ».

Si la lettre de la LLO est peut-être respectée par la CSC, mais DCQ affirme, tout en gardant ses réserves sur sa propre interprétation de sa lettre, que cela n’est certainement pas le cas de son esprit. En effet la LLO a pour objet de s’assurer que l’ensemble des communications officielles émises par l’État fédéral le soit dans les deux langues officielles du pays. Elle n’a certes pas pour objet de voir l’État fédéral… ne pas communiquer ces documents, sous prétexte d’une incapacité à procéder à la traduction desdites communications.

Aussi, l’organisme rappelle que cette décision va à l’encontre de ce que la Cour suprême plaidait elle-même dans ses échanges avec le CLO sur les diverses options se présentant à elle afin de se conformer à la LLO. En effet, dans le rapport final de suivi des recommandations du CLO produit suite à une plainte portant sur le même sujet en 2019, la Cour soutenait ne pas vouloir aller de l’avant avec le retrait des jugements rendus avant 1969 de son site web, puisqu’une telle décision « (...) est contraire aux efforts que mène la CSC pour améliorer l’accès à la justice et permettre à la population canadienne d’avoir accès à toutes ses décisions ».

Cette situation est plutôt surprenante. En effet, la Cour suprême choisit délibérément de restreindre l’accès à la justice, à sa propre jurisprudence et à l’état du droit à la population canadienne plutôt que de déployer les efforts nécessaires afin de respecter les droits linguistiques des citoyens et des citoyennes, en particulier ceux des francophones.

Des questions toujours en suspens

Posé sans que la Cour fédérale et la partie demanderesse en aient été informées, le geste unilatéral de la Cour suprême ne règle pas toutes les questions litigieuses soulevées par l’organisme. Ainsi, contrairement au Renvoi sur les droits linguistiques au Manitoba, l’entité administrative prise en défaut, le Bureau du registraire de la Cour suprême du Canada, n’est jusqu’ici aucunement encadrée par quelque contrainte juridique que ce soit en matière d’échéancier ou d’identification des jugements qui devront être traduits ou pas. Il en est de même pour la question des excuses exigées, tout comme celle des dommages et intérêts réclamés. Cela, sans compter que la CSC abandonne ses responsabilités en matière d’accès à la jurisprudence canadienne à des sites web privés, dont l’accès ne pourrait pas, dans l’avenir, demeurer gratuit. DCQ s’interroge par ailleurs sur la légalité de la manœuvre posée en cours de procès, notamment quant à un possible effet de disparition de la preuve pour frustrer l’effectivité des pouvoirs judiciaires de la Cour fédérale à rendre justice sur une situation régulièrement intentée. Enfin, DCQ rappelle que les futures versions des jugements devront être officielles, alors que le processus de traduction ne prévoit en aucun cas l’approbation de la version traduite par son auteur ou son autrice, contrairement à ce que prétend la Cour suprême du Canada dans son communiqué.

« Droits collectifs Québec a la ferme intention de poursuivre ses démarches afin que les droits fondamentaux des francophones soient entièrement respectés par le tribunal de plus haut ressort de l’État canadien », ont conclu le directeur général et le président de l’organisme, messieurs Etienne-Alexis Boucher et Daniel Turp.

Précédent
Précédent

Droits collectifs Québec se réjouit des principales recommandations du Comité Rousseau-Proulx

Suivant
Suivant

La Cour suprême fera face à la justice pour une première fois dans l’histoire du Canada