Lettre ouverte dans Le Devoir : Il est temps d’agir pour adopter une Constitution du Québec

À quelques jours du 250e anniversaire de l’adoption de l’Acte de Québec et de la journée d’étude du 22 juin 2024 de l’organisme Droits collectifs Québec, il nous semble utile de rappeler le contenu de l’Acte de Québec et de plaider, s’agissant de la « constitution du Québec », qu’il est temps d’agir.

De l’Acte de Québec

Dans son jugement relatif à la Loi sur la laïcité de l’État, la Cour d’appel du Québec a rappelé que l’Acte de Québec faisait office de « constitution […] de la Province de Québec ». Si la Proclamation royale de 1763 contenait quelques éléments concernant cette dernière, comme c’était également le cas pour les nouvelles provinces de la Floride orientale, de la Floride occidentale et de la Grenade, l’Acte de Québec était la première loi constitutionnelle impériale portant exclusivement sur le Québec.

Rappelons que cette première « constitution du Québec » rétablissait ou confirmait en partie, en son article V, les droits des fidèles et du clergé qui professent « la Religion de l’Église de Rome », comme le faisait l’article VIII pour lois civiles françaises dans l’appareil judiciaire colonial. L’article XII prévoyait quant à lui la mise sur pied d’un Conseil pour les affaires de la « Province de Québec » détenant le pouvoir et autorité de faire des Ordonnances pour la Police, le bonheur et bon gouvernement du consentement du Gouverneur.

Toutefois, l’article XIV stipulait que de telles ordonnances pouvaient faire l’objet d’une désapprobation « royale ». Enfin, dans une décision rendue le 29 février 2024, la Cour d’appel du Québec, tout en énonçant quelques nuances, juge « indéniable que l’Acte de Québec énonce en 1774 une partie importante de la constitution formelle du Québec ».

Les lois impériales qui régiront subséquemment le statut constitutionnel du Québec n’auront plus le Québec comme sujet exclusif. L’Acte constitutionnel de 1791 mettra fin à l’existence de la « Province de Québec » et s’appliquera aux nouvelles colonies du Bas-Canada et du Haut-Canada. L’Acte d’union de 1840 fusionnera les deux colonies sous l’appellation « Province du Canada » et l’identité constitutionnelle sera oblitérée.

La Loi concernant l’Union et le gouvernement du Canada, de la Nouvelle-Écosse et du Nouveau-Brunswick […], ou Acte de l’Amérique du Nord britannique devenue la Loi constitutionnelle de 1867, comportera quant à elle des dispositions relatives à une « Province du Québec » qui renaît de ses cendres, mais aussi à la nouvelle province d’Ontario ainsi qu’aux deux anciennes colonies des Maritimes ayant exprimé « le désir de contracter une Union Fédérale pour ne former qu’une seule et même Puissance (Dominion) sous la couronne du Royaume-Uni de la Grande-Bretagne et d’Irlande, avec une constitution reposant sur les mêmes principes que celle du Royaume-Uni ».

De la Constitution du Québec

La Loi constitutionnelle de 1867 comporte une partie V consacrée aux « Constitutions provinciales », dont plusieurs dispositions sont relatives à la « constitution » de la province de Québec (art. 58 à 68, 71 à 87, 89 et 90). De plus, l’article 92 § 1 de cette loi prévoit que la législature de chaque province a compétence exclusive pour légiférer relativement à « la modification de la Constitution de la province […] ». Édictée par la Loi de 1982 sur le Canada, la Loi constitutionnelle de 1982 abrogera cet article 92 § 1, mais son contenu sera repris dans l’article 45 de cette dernière loi qui reconnaîtra, dès lors et à nouveau à chaque province, y compris le Québec, un pouvoir constituant.

Le Québec n’a pas cru bon d’exercer un tel pouvoir de façon à se doter d’une constitution qui lui soit propre. Mais un tel projet est éminemment présent dans son histoire contemporaine.

De l’Avant-projet de Constitution du Québec préparé en 1985 par Jacques-Yvan Morin, en passant par les États généraux sur la réforme des institutions démocratiques tenus en 2003, jusqu’au projet de Constitution québécoise (projet de loi no 196) et à la motion à l’Assemblée nationale du Québec voulant que soit demandé « au gouvernement d’évaluer la proposition visant à doter le Québec d’une constitution québécoise » adoptée en 2019, de multiples appels ont été lancés pour que le Québec adopte une telle constitution.

Le temps d’agir

Faisant fond sur la Loi sur l’exercice des droits fondamentaux et des prérogatives du peuple québécois et de l’État du Québec (loi no 99), qualifiée à juste titre d’« embryon de constitution pour le Québec », nous sommes d’avis que le Québec doit enfin exercer son pouvoir constituant pour se doter d’une loi fondamentale globale.

Adopter une Constitution du Québec permettrait de rendre plus visibles les assises constitutionnelles que le Québec a enrichies au cours des dernières années par l’adoption de plusieurs lois que l’Assemblée nationale considère comme « fondamentales » — et qui sont aujourd’hui considérées comme de la législation « quasi constitutionnelle », telles la Charte des droits et libertés de la personne, la Charte de la langue française et la Loi sur la laïcité de l’État.

Quel que soit le statut politique du Québec et pour affirmer sa propre identité constitutionnelle, cette voie nous semble prometteuse. Il est temps d’agir.

Cette lettre ouverte a été reprise dans Le Devoir : https://www.ledevoir.com/opinion/idees/815025/idees-il-est-temps-agir-adopter-constitution-quebec

Précédent
Précédent

De la capacité à faire ses propres choix : cinq gestes concrets pour accroître l’autonomie constitutionnelle de l’État du Québec

Suivant
Suivant

Pour une nouvelle vision de la Loi électorale